Les prairies-pharmacie : ou comment gagner en autonomie tout en restaurant les écosystèmes d’élevage
Article écrit par Pauline Woehrlé, ingénieure agronome, consultante en système d’élevage bio et durable.
Les méthodes d’élevage chez les ruminants sont de plus en plus remises en cause. La pression sanitaire dans les élevages gagne en importance. Et si le secret résidait dans les pâturages ?
Prairie pharmacie : définition
Une pharmacie on voit tous ce que c’est, une prairie aussi ! mais une prairie pharmacie c’est quoi ?
C’est une super prairie dans laquelle on retrouve : des plantes à vocation alimentaire (type RGA, trèfle blanc, fléole, fétuque) et des plantes d’intérêts :
– Intérêt pour le maintien en bonne santé des troupeaux
– Intérêt fourrager en cas de sécheresse
– Protection climatique des animaux
– Limitation de l’érosion des sols.
Parmi ces plantes on va retrouver la chicorée et le plantain qui ne sont plus à présenter mais également des plantes moins connues comme l’Achillée millefeuille ou la centaurée noire. Les arbres ont également toute leur place dans ces prairies-pharmacie : frêne, saule, châtaignier, noisetier… ils ont tous des intérêts santé et fourragers.
On cherche en réalité à recomposer un environnement riche proche d’un écosystème sauvage.
Auto-médication des animaux
Il a été très bien démontré, notamment chez les primates, les oiseaux et les chevreuils, que les animaux sauvages sont capables d’auto-médication. Par exemple, un primate parasité va s’éloigner du groupe et se mettre à consommer des plantes habituellement étrangères à son régime alimentaire dont on a découvert qu’elles avaient en fait des propriétés vermifuges. Les chevreuils consomment volontiers l’écorce de saule après la période du rut. Pourquoi cela ? celle-ci contient un anti-inflammatoire célèbre l’acide salycilique.
L’évolution domestique de nos animaux d’élevage n’est pas très longue à l’échelle de l’évolution biologique. Serait-il possible qu’ils aient toujours cette capacité à sélectionner dans la nature des plantes qui les aideraient à préserver leur santé ?
La réponse est oui. Mais avec des nuances…
Les animaux ont des processus cognitifs innés qui leur confèrent un dégout ou une attirance pour telle ou telle plante en fonction des propriétés de celles-ci mais attention l’éducation alimentaire joue un rôle également. Les bovins n’aiment pas le gout amer (processus cognitif inné) et effectivement de nombreuses molécules toxiques comme les alcaloïdes contenus dans les séneçons jacobé. En revanche, nuance nuance… un bovin dont le foie ne fonctionne pas très bien (surcharge alimentaire, problème métabolique, parasitisme…) va développer un gout prononcé pour des molécules amères mais non toxiques comme les sylimarines des chardons.
C’est pourquoi on ne peut pas demander à un animal élevé en bâtiment avec une ration peu diversifiée de savoir du jour au lendemain sélectionner dans la nature les plantes qui vont l’aider.
Education alimentaire des animaux
L’éducation alimentaire se joue avant l’âge de 9 mois. Il faut présenter aux animaux un régime alimentaire varié afin qu’ils s’éduquent à des gouts différents. La compagnie d’un animal plus âgé et expérimenté donne également des atouts supplémentaires. Cette éducation alimentaire est évidemment plus simple dans les systèmes allaitants que les systèmes laitiers.
Ces phénomènes d’auto-médication se retrouvent chez tous les ruminants mais également chez les volailles et les porcs.
Prairie-pharmacie = écosystème très riche et très diversifié qui…
Pour résumer : les prairies-pharmacie consistent à recréer (ou développer) un écosystème très riche et diversifié pour permettre l’expression de comportements naturels (automédication) sans pénaliser l’efficacité économique de l’exploitation agricole.
A fortiori, l’enrichissement de l’écosystème permet de limiter l’érosion des sols (haies, talus), d’accueillir la faune entomologique et donc d’avoir un environnement globalement plus résilient et apte à subir les contraintes climatiques.
Quelques mots sur l’auteure :
Pauline Woehrlé est ingénieure agronome, consultante en système d’élevage bio et durable au sein d’EILYPS, organisme de conseil en élevage. Elle a aussi une petite ferme sur laquelle elle élève des chèvres des fossés (éco-pâturage) et des vaches Dexter.
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