« Gagnez en qualité de production en retrouvant un sol vivant grâce aux techniques de reconstruction des sols » François Mulet, maraicher dans l’Eure
Gilles Cavalli : Bonjour et bienvenue dans ce nouveau podcast d’Agrifind, je suis avec François Mulet, maraîcher dans l’Eure, il est également très actif dans la vie associative au sein de « maraichage sol vivant » ; une association qui promeut la recherche et le développement technique pour le maraîchage. François, est-ce que tu peux s’il te plait nous parler de toi, de ton activité de maraicher ?
François Mulet : Je suis maraîcher dans le sud de l’Eure sur deux hectares environ. Avec mon frère, cela fait 6 ans que nous sommes installés et bien une dizaine d’année que l’on travaille et que l’on fait de la recherche et du développement sur les techniques d’agriculture sans travail du sol que l’on appelle maraîchage sol vivant. On s’est focalisé dans notre raisonnement sur le sol, il y a un aspect majeur de notre agriculture aujourd’hui qui est d’avoir des sols en très mauvais états déstructurés avec des taux de matières organiques assez faibles.
On a concentré notre travail sur comment faire pour résoudre ce problème et on s’est rendu compte que finalement cela se faisait assez simplement. Il fallait avant tout reconstruire les sols, c’est-à-dire les nourrir avec de la matière organique, vivante ou morte et ensuite arrêter de les détruire. Les sols naturellement se détruisent un peu, et on a identifié que les outils principaux de destruction des sols sont avant tout les outils de travail du sol.
Gilles Cavalli : Merci ! Si je comprends bien, le sujet c’est la reconstruction des sols. Avant d’aller sur le comment, quel est l’intérêt pour le maraîcher de reconstruire ses sols, d’avoir des sols en bon état tel que tu le présentes ?
François Mulet : C’est avant tout une facilité dans la production, c’est-à-dire que si l’on a des sols structurés correctement, les plantes ont beaucoup plus facilement accès à l’eau et à tous les nutriments dont elles ont besoin. Globalement c’est moins d’irrigation, moins de fertilisation, beaucoup moins de problèmes de maladies, de stress divers. C’est avant tout un facteur économique, de qualité de production et puis à côté de services annexes comme la qualité de l’eau…
Gilles Cavalli : Et tout ce qui est lié à la biodiversité j’imagine ?
François Mulet : Oui, globalement tout ce qui va être biodiversité, il ne faut jamais oublier que 80% de la diversité est en fait dans le sol.
Gilles Cavalli : Comment parvenir à augmenter la matière organique du sol et qu’est-ce qu’on fait pour le nourrir et pour éviter de le détruire ?
« Reconstruire un sol de qualité, c’est arrêter de travailler son sol…. »
François Mulet : Eviter de le détruire c’est éviter à tout prix tous les outils de travail du sol, mais il faut en parallèle réussir à accomplir notre acte de production correctement, c’est-à-dire gérer l’enherbement, semer, etc… Cela nécessite donc un développement technique assez important. Ne pas détruire c’est réduire au maximum les outils de travail du sol, optimiser la production durable. Il faut que le champ soit vert. Il faut se débrouiller pour que le sol soit vert, c’est-à-dire qu’en permanence il y a de la photosynthèse. Dans la nature en permanence on a de la photosynthèse, dès qu’on a un rayonnement lumineux la nature met en place des feuilles pour faire de la photo synthèse, produire de la biomasse qui a un moment ou un autre revient en partie pour nourrir le sol.
Le problème dans nos modèles agricoles aujourd’hui est que nos sols sont nus beaucoup trop longtemps dans l’année et donc ne produisent pas de biomasse, on gaspille de l’énergie solaire. En maraîchage, c’est un peu plus compliqué car les légumes sont à cycle court, difficile d’avoir une couverture de chlorophylle toute l’année sur les plants. On s’est donc rendu compte qu’on pouvait aussi nourrir le sol avec de la matière organique morte. Les plantes vivantes nourrissent le sol notamment avec leur système racinaire, mais en fait c’est surtout lorsqu’elles meurent, qu’elles rentrent en décomposition qu’elles vont nourrir l’activité biologique du sol.
« …tout en le nourrissant de matière organique »
Donc il faut nourrir les sols avec de la plante morte ou vivante et au passage on a réussi à mettre au point des méthodes de reconstruction du sol assez efficaces, dans le sens où pour reconstruire les sols, par exemple un sol avec un 1% de taux de matière organique, on peut remonter ce taux de matière organique à 2 ; 3 ; 4 voire 5 % en faisant des apports très importants initialement de matière organique.
Gilles Cavalli : Concrètement par exemple sur ton exploitation ou sur des exploitations que tu connais, passer de 1,5 point à 5 points de matières organiques, suivant le type de sol cela peut mettre combien de temps, et en termes de tonnage/hectares de matière organique apportée, cela représente quoi et avec quelle régularité ?
François Mulet : En fait pour remonter la matière organique du sol, on peut s’y prendre de plein de manières différentes, on peut faire des apports fractionnés, on peut faire des apports massifs. Le plus simple si on peut le faire, c’est de le faire en une seule fois, donc il faut à peu près une centaine de tonne de broyat de branche sec par hectare pour remonter de 1% le taux de matière organique du sol. Si je veux le remonter de 3% il faut mettre 300 tonnes ce qui représente à peu près 15-20 centimètres de matière organique. Il faut l’enfouir dans le sol, correctement dans les 15 premiers centimètres et l’enfouir le plus finement possible, donc il faut faire une mixtion très forte entre le minéral et l’organique pour reconstruire le complexe organique, donc mélanger fortement les 15 centimètres de matière organique avec le sol nécessite une dizaine de passage de déchaumeur.
Si vous voulez une minéralisation très rapide et pouvoir mettre en culture rapidement, il faut rajouter des matières organiques qui vont minéraliser plus vite parce que la branche broyée ou la feuille sont des matières organiques assez stables qui vont minéraliser assez doucement, donc vous pouvez rajouter du fumier, de l’herbe fraîche par exemple dans votre mélange, là vous obtiendrez un mélange capable de très fortement restructurer votre sol, qui va fortement nourrir les populations de champignons et vous avez aussi les matières organiques qui vont minéraliser rapidement pour nourrir vos plantes.
« Une miction branches/herbe/fumier et un peu de patience : la recette miracle pour un sol en très bon état »
La recette miracle, c’est donc 200-300 tonnes de branches broyées en ajoutant des matières plus fermentescibles comme l’herbe et le fumier et ensuite si votre sol est un sol travaillé vous n’avez pas beaucoup de vers de terre, et donc si vous voulez que votre sol fonctionne correctement il faut attendre le retour des vers de terre. Il faut donc faire un apport massif et attendre à peu près deux ans que les vers de terre reviennent, à ce moment-là vous aurez un sol en très bon état qui fonctionnera normalement très bien.
Gilles Cavalli : Merci beaucoup pour ces précisions et ce programme. J’aimerais pouvoir conclure cet échange par rapport à une question personnelle sur ton rêve en tant qu’agriculteur en tant que maraicher, quel est-il ?
François Mulet : Je pense être quelqu’un d’assez pragmatique, je regarde ce qui est faisable. Ce qui est de l’ordre du faisable c’est dans les années qui viennent de faire changer l’agriculture de modèle agricole, je ne suis pas le seul à travailler là-dessus d’ailleurs. Pour ma part j’ai identifié qu’il y avait un facteur très limitant dans le changement de modèle agricole, c’est la formation. Les agriculteurs sont très mal formés, très mal informés, le développement technique sur le terrain est très mal formalisé, très mal mis sur papier, très mal mis en vidéo, donc les agriculteurs ont globalement accès à une information technique d’assez mauvaise qualité notamment sur les nouvelles techniques de semi-direct, d’agriculture de conservation, d’agroécologie, ce qui empêche le développement correct de ces nouvelles techniques, donc à mon avis, si l’on veut que ça se fasse, si l’on veut avoir un changement de modèle agricole il faut focaliser notre effort et notre travail là-dessus.
Gilles Cavalli : Effectivement c’est du domaine du plausible, en tout cas on est nombreux à œuvrer en ce sens. Merci Beaucoup François, je rappelle François Mulet maraîcher dans l’Eure associé avec son frère et qui développe et recherche des techniques en liens avec la reconstitution des sols. Merci beaucoup François et à très bientôt pour un nouvel échange avec un acteur du monde agricole.
Crédit Photo : maraîchagesolvivant.org
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