« L’agroécologie : la base de l’autonomie des agriculteurs » Matthieu Archambeaud, agronome
Gilles Cavalli : Bonjour et bienvenue dans ce nouveau podcast d’Agrifind. Je suis avec Matthieu Archambeaud qui est agronome, spécialiste du sol et basé à Nantes. Matthieu peux-tu te présenter en quelques mots ? Quelles sont tes activités ?
Matthieu Archambeaud : Je suis agronome, je travaille depuis une quinzaine d’années dans ce qu’on appelle l’agriculture de conservation des sols. Mon activité principale est la formation, le conseil d’agriculteurs, de céréaliers et d’éleveurs. Depuis quelques années je travaille aussi pour les vignerons et les maraichers et je collabore depuis le début des années 2000 avec Fréderic Thomas et sa revue TCS : « Techniques Culturales Simplifiées ».
Gilles Cavalli : J’aimerai faire un focus sur tout ce qui concerne justement la formation et le développement l’agriculture, de l’agroécologie, l’objectif étant d’accroître l’autonomie sur les exploitations agricoles tant décisionnelle qu’économique. Comment cela se concrétise ?
Matthieu Archambeaud : Les techniques d’agricultures de conservation ou d’agroécologie sont plus vaste que l’agriculture de conservation – il va y avoir d’autres formes d’agricultures dedans comme l’agroforesterie, le pâturage tournant dynamique et l’agrobiologie– et ces formes d’agricultures sont restées assez confidentielles pendant de nombreuses années et là depuis 4-5 ans il y a un véritable boom, une explosion des demandes de formations pour des systèmes qui sont quand même relativement complexes.
En tant que formateurs nous sommes un petit réseau un peu partout en France, mais nous sommes tous extrêmement débordés par la demande, ce qui fait d’ailleurs que l’on a monté avec des collègues une entreprise qui s’appelle icosysteme qui fait de la formation mixte digitale et qui va permettre à chacun de pouvoir se former à son rythme et puis de démultiplier les formations.
Gilles Cavalli : Donc l’idée c’est d’avoir du contenu en ligne sur l’ordinateur et puis de compléter cela avec du présentiel classique sur le terrain ?
Matthieu Archambeaud : Exactement. Ce qui manque ce sont des plateformes de formation digitale avec des techniques modernes de communication, en associant une approche de formation assez classique sur le terrain pour répondre au plus près des demandes des agriculteurs.
« L’agroécologie englobe plusieurs formes d’agriculture visant à conserver et à développer la fertilité des sols »
Si l’on revient un petit peu aussi à l’agroécologie, aujourd’hui au niveau de la société dans son ensemble, l’agroécologie est perçue comme un ensemble de pratiques vertueuses pour protéger l’environnement, avec la qualité des sols, de l’eau, de l’air, de la qualité des produits, etc… Cela est tout à fait vrai, mais c’est aussi avant tout des formes d’agriculture qui permettent de préserver, de conserver ou de développer la fertilité des sols et ça c’est quelque chose qui est très important parce que tout système de culture repose sur le sol et sa fertilité et cela vient à la base de l’autonomie des producteurs et donc c’est également la base de leur sécurité, notamment économique.
Nous notre approche est vraiment à destination des producteurs pour qu’ils puissent être davantage indépendants, pour maîtriser leur système, leurs coûts de production et puis d’ailleurs éventuellement plus loin en abordant leur circuit de commercialisation.
Gilles Cavalli : Et quelles sont les étapes à suivre successives pour une personne qui souhaite s’investir dans ce type de façon de faire, de travailler en tant qu’agriculteur ?
Matthieu Archambeaud : Alors la base de l’agroécologie, (agro comme agronomie et écologie comme étude des écosystèmes), l’enjeu de c’est de comprendre quels sont les mécanismes de fonctionnement de la nature, comment va fonctionner un écosystème et de pouvoir s’en inspirer pour être le plus efficace possible, avec le moins de perturbation possible. On va dire que d’un niveau pratique si l’on observe un sol dans la nature un sol de prairies par exemple et bien c’est un sol couvert en permanence, qui n’est pas travaillé et sur lequel on va retrouver une grande diversité d’espèces végétales qui va induire d’ailleurs un grand nombre d’espèces animales des bactéries etc…
On va mettre en œuvre des systèmes qui cherchent à minimiser la perturbation du sol, à chercher une couverture continue des sols, en rupture et d’autres part à assurer une diversité végétale maximum que ce soit avec la rotation des cultures dans le temps ou que ce soit l’association des espèces dans les cultures, dans les couverts, etc…
Gilles Cavalli : L’agriculture de conservation des sols, l’agroécologie est née en Amérique du nord suite à un problème d’érosion massif des sols, est-ce exact ?
Matthieu Archambeaud : Tout à fait. Il y a une bonne part de ce que l’on va appeler l’agroécologie qui va être tout bêtement le bon sens paysan et l’agronomie de base traditionnelle, les notions de rupture, de préservation des sols, de matières organiques, mais après il y a aussi tout un ensemble de techniques , notamment sur la réduction ou la suppression du travail du sol, qui vient des Etats-Unis ou du Brésil, cette suppression du travail du sol a d’ailleurs été permise, ce qui est assez amusant, par l’apparition d’herbicide comme le 2,4D ou le glyphosate qui ont permis de s’affranchir du travail du sol en tant que désherbant.
L’Amérique du nord et du sud sont partis sur des systèmes très simplifiés, simplistes parfois, associant des cultures zones de prairies avec du glyphosate, c’est du semi-direct, mais en Europe avec la pression collective, des rotations un petit peu plus diversifiés avec des conditions climatiques un peu différentes, on est partis sur des systèmes beaucoup plus complexe où l’on va chercher à réduire le travail du sol et réduire l’utilisation des engrais de la phytopharmacie.
« Agriculture biologique et agriculture de conservation sont convergentes, les combiner est un bel enjeu qui s’avère très complexe ! »
Gilles Cavalli : Jusqu’à aller à répondre à un cahier des charges conforme à l’agriculture biologique ?
Matthieu Archambeaud : La problématique que l’on va avoir c’est qu’à partir du moment où l’on va se priver d’outils pour produire en agriculture biologique, on se prive volontairement des engrais de synthèse, des produits phytosanitaires de synthèse : on va se mettre des obstacles, des difficultés dans la production on va être obligé de redevenir intelligent et de redécouvrir l’agronomie pour avoir un sol fertile et donc pour produire sans engrais.
Par exemple, en agriculture de conservation c’est la même chose sauf que l’on supprime le travail du sol et pour y parvenir et l’on est aussi obligé de redécouvrir ce que veut dire un sol qui fonctionne qui est fertile qui se structure de lui-même.
Cela veut dire que les approches sont convergentes sur la recherche de l’autonomie et de la fertilité des sols par contre les moyens pour y parvenir sont différents c’est-à-dire que dans l’état actuel de nos connaissances en agriculture biologique nous ne sommes pas prêts de supprimer complètement le travail du sol car la nature est très puissante et toujours plus forte et va chercher à imposer une gestation spontanée. Il y aura toujours du travail du sol et inversement quelqu’un qui veut faire du semi-direct en continu ne pourra pas dans l’état actuel des connaissances supprimer totalement la chimie.
« L’ABC : l’agriculture biologique de conservation : un défi pour l’avenir »
Aujourd’hui on arrive quand même à des formes de compromis très intéressantes c’est ce que l’on a surnommé en jeu de mot l’ABC : l’agriculture biologique de conservation où l’on va essayer de combiner le cahier des charges en bio avec un travail du sol extrêmement réduit et pour ne rien vous cacher c’est assez complexe !
Gilles Cavalli : Merci pour cette présentation tout en nuances des tenants aboutissants liés à l’agroécologie large et puis dernière des choses un peu plus spécifiques sur l’agriculture de conservation des sols et sur l’agriculture biologique. On a bien compris que ces deux approches visent la même chose avec des moyens différents. Une dernière question pour conclure notre échange, Matthieu, quel est ton rêve pour les agriculteurs ?
Matthieu Archambeaud: Il y a un souhait qui n’est pas un rêve car il va falloir que ça se réalise c’est d’abord que tous les producteurs en France puissent vivre de leur travail ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. On a je crois, plus de la moitié des agriculteurs qui sont en dessous du seuil de pauvreté notamment avec les années difficiles que l’on a traversé donc je n’ai pas qu’un souhait il faut je pense avoir une remise en cause peut-être technique mais là aussi il y a des outils économiques à mettre en place.
Autrement une agriculture française dont je rêverais ce serait une agriculture diverse qui ne serait pas basée sur un seul modèle c’est-à-dire que le modèle agricole aujourd’hui à certes ses limites mais je pense qu’il a encore de l’avenir mais il mérite aussi d’être combiné avec des formes beaucoup plus paysannes petites, des petits écosystèmes le développement des circuits courts qui permet aux consommateurs justement de se nourrir de plus en plus près de chez lui sur des modes de production qu’il connaît ou qui le rassure ou voir pourquoi pas combiner des systèmes « modernes » avec le système traditionnel afin de créer des écosystème de production sur de grandes surfaces qui combineraient des systèmes céréaliers, différents systèmes d’élevage, de maraîchage, d’arboriculture etc. Il y a plein d’idées mais surtout gardons la diversité qui fait la richesse de notre pays.
Gilles Cavalli : Merci pour ce témoignage merci pour cet échange. Je rappelle Matthieu Archambeaud agronome spécialiste du sol, formateur et consultant auprès d’agriculteurs, de maraîchers, de viticulteurs. C’était Gilles Cavalli pour le blog d’Agrifind.
Crédit Photo : Linked In / www.agriculture-de-conservation.com
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Et vous, pratiquez-vous l’agriculture de conservation des sols ? Quelles combinaisons de systèmes seraient viables selon vous ?