Comment baisser ses charges de mécanisation
Les charges de mécanisation représentent en moyenne près d’un quart des charges totales des exploitations, ce qui en fait une part conséquente de leur budget total. Étant donné la diversité des exploitations en termes de taille et d’activité, ces charges de mécanisation varient grandement mais l’on considère tout de même qu’elles comptent pour 20 à 30% des charges totales. Ces charges comprennent : la consommation de carburant, les investissements en matériel agricole, les assurances et leur entretien. Ce sont des dépenses difficiles à analyser et à prédire puisqu’elles sont multiples et pas nécessairement régulières. Autrement dit, elles peuvent très bien augmenter ou diminuer d’une année à l’autre.
Alors pourquoi entend-on souvent dire qu’il y a trop de matériel agricole dans les exploitations françaises ? Pourquoi y’a-t-il un tel déséquilibre entre des exploitations trop équipées et des Entreprises de Travaux Agricoles (ETA) au maximum de leur capacité ? La transmission du patrimoine agricole aux nouvelles générations expose bien ce problème, les jeunes n’arrivent pas à s’installer car les investissements à réaliser sont souvent trop importants pour une jeune personne (bâtiment, cheptel, machines, terrain).
Ce constat, fait par certains, n’est pas toujours injustifié et nous allons voir quelles en sont les causes du suréquipement et comment ne pas tomber dedans.
Qu’est-ce que le suréquipement ?
Le suréquipement, c’est lorsque qu’une exploitation possède plus de machines agricoles que nécessaire pour réaliser ses activités. On constate alors une baisse de la compétitivité pour les exploitations dans cette situation.
Mais connaissant le prix élevé des machines agricoles, on pourrait se demander pourquoi les agriculteurs y investissent autant d’argent. Seraient-ils influencés ?
Tout d’abord, force est de constater que le matériel agricole est de plus en plus sophistiqué et confortable. Il doit également répondre à des normes plus strictes que ce soit en termes de sécurité ou de pollution. Et logiquement, le prix des machines intégrant toutes ces évolutions a fortement augmenté. A titre d’exemple, le prix d’un tracteur a doublé en 20 ans. Selon les constructeurs, le respect des normes réglementaires représentent près de 40% de l’augmentation du coût des tracteurs sur les 10 dernières années (source Axema).
De plus, l’évolution de l’agriculture mécanisée alliée à la diminution de la main d’œuvre agricole (-1% par an depuis 2010) ont favorisé ce type d’investissement. Il y a 20 ans, pour mener 1ha de blé, l’agriculteur travaillait environ 8 heures, aujourd’hui, nous nous rapprochons de 4h. Les pratiques changent en fonction des innovations et le machinisme agricole s’adapte, c’est le cas par exemple avec la probable interdiction du glyphosate qui demandera sans doute d’importantes adaptations matérielles. Il est clair que le matériel agricole aura un rôle de plus en plus important dans la transition vers une agriculture avec toujours moins d’intrants.
Par ailleurs, il y a tout un contexte fiscal et social favorable à l’investissement, notamment avec la Loi no 2015-990 de 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, appelée aussi Loi Macron, qui permet en simplifiant énormément, d’être « rentable » en jouant sur la durée d’amortissement. Prévoyant un suramortissement, la loi vise à stimuler certains investissements en permettant aux contribuables de bénéficier d’une déduction supplémentaire égale à 40% du prix de revient d’un bien.
De plus, l’exonération de la plus-value sur les reventes du matériel d’occasion (ou les reprises) amplifie le phénomène d’aubaine pour l’agriculture. Ainsi, certains conseillers et comptables poussent les agriculteurs à investir afin de payer un minimum de cotisations obligatoires (impôts et cotisations sociales). En outre, choisir comment investir est décisif, entre achat, crédit-bail ou location financière, et il est important de bien se renseigner sur la fiscalité liée aux différents types d’investissements. Mais aujourd’hui, beaucoup d’outils sont mis en place par les constructeurs et les banques pour faciliter le financement du matériel.Il faut toutefois être vigilant sur les effets à long terme des investissements.
Enfin, le machinisme agricole jouit d’un pouvoir social, le matériel peut être vu comme un indicateur de statut social. Depuis longtemps, la presse agricole met en avant ses machines en créant autour d’elles un culte de l’efficacité, du confort, etc.
Dans cette dynamique, un agriculteur investit avant tout par passion. Ce matériel est pour beaucoup un objet social, signe de réussite et d’indépendance.
On le voit, investir dans du matériel ne dépend pas forcément des projets stratégiques de l’exploitation et cela peut avoir des conséquences sur la santé économique des exploitations.
De toute évidence un investissement excessif va à l’encontre des intérêts des agriculteurs. Cette problématique amène à des réflexions sur le raisonnement derrière ces investissements.
Maîtriser ses charges de mécanisation
Mutualisation
La mutualisation des moyens matériels agricoles consiste simplement à mettre en commun du matériel agricole. Répartir solidairement parmi les membres d’un groupe, c’est ce que font de nombreux agriculteurs à travers le réseau de Coopératives d’Utilisation de Matériel Agricole (CUMA), dont le nombre d’adhérents ne cesse d’augmenter. On cherche à engendrer une optimisation du matériel et à raisonner à l’échelle d’un territoire pour diviser les factures. Cette approche permet de limiter l’impact de l’investissement sur une seule exploitation mais ne résout pas la problématique de la disponibilité de la main-d’œuvre. C’est pourquoi de plus en plus de CUMA embauchent des chauffeurs pour assurer les chantiers.
Dans la même veine, existe aussi la possibilité d’investir en commun (copropriété) afin de répartir les coûts. Cela permet d’obtenir des outils plus puissants et performants, chose qu’un agriculteur seul ne pourrait pas autofinancer.
Ou encore la location de matériel agricole auprès d’un concessionnaire ou d’un autre agriculteur.
La délégation de travaux agricoles
Si un agriculteur ne dispose pas du matériel nécessaire pour effectuer ses travaux agricoles ou que la main d’œuvre vient à lui manquer, il peut faire appel à des sous-traitants. Ces peuvent être des ETA, des CUMA ou même d’autres exploitants. Mais cette solution ne s’adapte pas à toutes les exploitations, il faut donc analyser s’il serait bénéfique ou non de faire effectuer ses travaux par un tiers. Très souvent, la délégation s’avère être une belle opportunité pour réaliser ses travaux à moindre coût, à condition toutefois d’éviter le double équipement. D’ailleurs la sous-traitance tend à augmenter de 2,7% par an depuis 2000.
La délégation intégrale
Cette pratique consiste à déléguer intégralement les chantiers agricoles à des tiers. Dans le recensement général agricole de 2016, 7,1% des exploitations ont déclaré avoir délégué intégralement les travaux de culture.
Une étude auprès de 1000 exploitations de l’Oise, montre qu’une économie de 70€ par hectare est possible en externalisant totalement les chantiers. Dans ce département, en moyenne la conduite d’1ha de blé revient ainsi à 450€ en délégation intégrale contre 530€ si la conduite de la culture est complètement internalisée.
Prix moyen des ETA référencées sur Linkinfarm en 2019
Bien sûr ces chiffres sont à raisonner localement, en fonction de son parcellaire, de l’amortissement de son matériel, de ses futurs besoins d’investissement sur des nouvelles machines et de ses objectifs stratégiques. Linkinfarm estime dans une étude de 2019 qu’une exploitation peut réduire jusqu’à 27% ses charges de mécanisation en délégant les travaux de cultures.
Comment acheter son matériel : neuf ou d’occasion ?
Lorsque l’achat est nécessaire et justifié, le type d’achat peut être crucial dans le budget d’une exploitation. Sans avoir besoin de trop entrer dans les détails, l’achat neuf et l’achat d’occasion ont tous deux leur lot d’avantages et inconvénients qu’on leur connaît. Cependant, il est bon de rappeler que suivant le type d’outil et les conditions dans lequel il sera utilisé, il est parfois préférable d’opter pour un outil d’occasion. Un outil de seconde main bien entretenu par son ancien propriétaire peut rester en état de marche encore des années durant. Encore une fois, il s’agit là de cas par cas et l’agriculteur doit évaluer ses besoins et l’outil avant de prendre quelconque décision hâtive.
D’autres façons d’acheter émergent également afin de redonner du pouvoir à l’agriculteur. Ainsi, comme on peut le connaître pour les intrants, certains exploitants s’organisent pour acheter via des groupements d’achat et ainsi mettre en concurrence les constructeurs ou concessionnaires. D’après le rapport du CGAAER n° 20064, cette pratique a permis de réduire de 20% le prix d’acquisition du matériel.
Ces nouvelles pratiques montrent l’intérêt de raisonner ses investissements matériels non pas sur des envies, des opportunités sociales ou fiscales mais bien sur les objectifs stratégiques de l’exploitation.
Par conséquent, bien maîtriser ses coûts ne dépend d’aucune recette miracle. Chaque exploitation doit adopter sa propre stratégie, suivant ses objectifs, sa vision, sa main d’œuvre, son réseau. Pour cela, on ne saurait que vous recommander l’élaboration d’un réel diagnostic pour ensuite dessiner un business plan viable, ainsi que de ne pas écouter les sirènes de la défiscalisation. Évaluer correctement son besoin en matériel est la première chose à faire avant de se lancer dans ce type d’investissement. Et si vous êtes freiné par un investissement, pensez à vous appuyer sur les solutions existantes.
Sources :
Podcast Tonton Farmers : https://www.youtube.com/watch?v=Lh2Jxw1x0xs&list=PLMOnzKNDiFS3TcJcSY6l9QtNL0CcU7KKI
https://www.entraid.com/articles/maitriser-ses-charges-de-mecanisation
CGAAER Rapport n° 20064 – La charge de mécanisation des exploitations agricoles