Les enjeux de la gestion de l’eau en agriculture en France : perspectives d’avenir
Avec un déficit mondial des ressources en eau et la population en pleine expansion, toutes les estimations s’accordent à dire que nous rencontrerons inévitablement dans les décennies à venir une crise mondiale de l’eau. De plus, les dérèglements du climat se font déjà ressentir via les phénomènes de sécheresse et d’inondation. Il est donc nécessaire que les acteurs en charge de la gestion tels que les États, organisations et entreprises opèrent un changement radical dans la gestion de l’eau, et notamment dans le secteur de l’agriculture. Malgré les richesses des réserves de la France en eau, la consommation agricole d’eau principalement utilisée pour l’irrigation reste un point de discorde.
L’épuisement des ressources en eau, un constat mondial
L’eau est un élément essentiel à l’humanité, elle justifie la vie sur terre et la compose en majorité. 6ème objectif des 17 retenus par l’ONU pour le développement durable, son importance pour notre avenir est considérable. Liée à la vie, l’eau est la priorité majeure du contexte climatique dans lequel nous évoluons. Sur la totalité de l’eau du globe, 97,5% provient des océans, qui jouent un rôle crucial sur les équilibres terrestres, et les 2,5% restants représentent l’eau douce. Mais il faut savoir que 80% de l’eau douce n’est pas directement disponible puisqu’elle est sous-forme de glace (dans les glaciers et calottes polaires). Le reste de cette eau douce est répartie de manière très inégale entre cours d’eau, lacs et nappes souterraines.
A l’heure où la planète entière assiste au réchauffement climatique, que le sud de l’Europe devient de plus en plus aride, ou même que les vignes françaises recourent de plus en plus à des irrigations d’appoint, le sujet de la gestion de l’eau divise toujours. Dès à présent, certains pays s’engagent ou affichent des ambitions en termes de gestion nationale de l’eau tandis que d’autres restent encore réticents à se prononcer. Pour la France, les spécialistes annoncent formellement des sécheresses des sols extrêmes sur tout le territoire d’ici 50 ans. Régulièrement, de nombreux départements sont touchés par des arrêtés de restrictions d’eau en raison de l’assèchement des sols.
De plus en plus rare, l’eau douce attise dorénavant les risques de conflits entre États. Même avec des prévisions alarmantes concernant l’épuisement des réserves menant à près de 40% de la population mondiale touchée par le manque d’eau d’ici 2030, certains voient encore l’eau comme une ressource inépuisable. Cependant, la gestion de l’eau devient un problème global dépassant largement les frontières entre États, c’est pourquoi l’on peut s’attendre à observer plutôt des dynamiques de coopération.
L’eau en agriculture
L’utilisation de l’eau en agriculture est principalement due à l’irrigation des cultures. Depuis le départ, l’irrigation a accompagné l’évolution de l’Homme, façonné les paysages et nous a guidé vers une forme de sécurité alimentaire. C’est au 20e siècle qu’elle a été décuplé par de nouveaux procédés et évolutions technologiques.
En matière de gestion de l’eau, chaque nation adopte sa propre gouvernance. En ce qui concerne la France, la politique publique “mission hydraulique“, portée sur l’hydraulique agricole et l’irrigation, a pris fin en 1985 pour laisser place à une politique de l’eau à l’objectif plutôt centré sur le bon état écologique des “masses d’eau“. Depuis, l’eau en agriculture a évolué en conséquence selon les différentes politiques, institutions, financements et planifications.
Récemment est apparue une procédure interministérielle décentralisée PTGE (Projets de Territoires Gestion de l’Eau) ainsi que le rapport “Changement climatique, eau, agriculture : quelles trajectoires pour 2050 ?“ élaboré conjointement par les Conseils généraux des Ministères de l’agriculture et de l’écologie. Ces rapports mettent en relief plusieurs points cruciaux de la gestion de l’eau en agriculture dont :
- Quelles trajectoires eau/agriculture et quel type d’irrigation promouvoir demain et pour quels enjeux ?
- Comment agir dans les territoires pour sortir des confrontations et des blocages actuels et réussir des transitions d’intérêt général ?
- Quelles implications pour la recherche et le développement ?
- Quelle évolution donner à nos politiques publiques intéressant l’eau et l’agriculture et aux institutions chargées de leur mise en œuvre pour réussir des transitions à grande échelle ?
Le marché du nouvel or bleu
La problématique est planétaire, les réserves globales d’eaux potables chutent. Et ce n’est pas seulement le cas dans les régions originellement plus arides, l’Europe occidentale est aussi concernée avec des seuils en dessous du minimum de sûreté atteints. Cette denrée se raréfiant sans arrêt, on commence déjà, du côté des États-Unis, à coter l’eau en bourse. Des grandes compagnies, telles que Nestlé, ont déjà adopté une stratégie beaucoup plus globale afin de libéraliser cette ressource.
On aurait du mal à s’imaginer un tel scénario se produire, c’est pourquoi les préoccupations au sujet de la libéralisation de l’eau sont tout à fait justifiées. Ce sujet fait alors écho à celui de l’utilisation et la commercialisation des données (datas). Ils sont tous deux devenus des actifs à part entière et sont pour ainsi dire de plus en plus liées. On arrive maintenant à mesurer approximativement tous les enjeux des datas et les risques de dérives par leur usage. Des questions d’éthique et d’équité se posent, on pense à la manipulation politique lors d’élections, au piratage, à l’espionnage, au hacking, etc… Or pour l’eau, la menace qu’elle pèse sur nous est encore assez floue, outre l’équation logique : plus d’eau est égal à plus de vie.
Mais le récent développement de l’agriculture technologique (AgTech) offre aussi des perspectives quant à la gestion de ces actifs stratégiques.
Les préconisations
Étant donné les risques identifiés par le GIEC, comme la perte de revenus ruraux suite à un accès insuffisant à l’eau d’irrigation et à la diminution de la productivité agricole ou encore la rupture des systèmes alimentaires suite à la variabilité des pluies et aux sécheresses.
En la matière, l’agriculture présente des spécificités nécessitant des démarches appropriées.
La qualité et la gestion équilibrée de l’eau concernent l’ensemble des acteurs, secteurs économiques et ménages. Seules leurs actions coordonnées à l’échelle de chaque territoire hydrologique peut permettre d’atteindre cet objectif.
Voici les principales préconisations, exprimées par le Conseil Économique Social et Environnemental (CESE) dans le rapport de 2013 “La gestion et l’usage de l’eau en agriculture“ :
- Faire de la politique de protection des captages d’eau potable un levier pour accélérer la reconquête globale de la qualité des eaux
- Mettre en place une gestion intégrée de la parcelle au bassin versant et rechercher l’efficience économique et écologique des exploitations
- Réduire les vulnérabilités de l’agriculture aux aléas météorologiques et favoriser les adaptations au changement climatique
- Privilégier l’irrigation efficiente et partager équitablement la ressource
- Améliorer les connaissances et rendre plus cohérente la gouvernance
L’AgTech comme solution
Les sociétés occidentales entre autres ont pour certaines déjà pris un tournant vers une agriculture plus résiliente et durable utilisant les outils à disposition au service du bien commun. En effet, la gestion conjointe de l’eau et des datas peut s’avérer bénéfique à bien des égards et nus permettre de relativiser un peu. La plupart des marchés se digitalisant et l’agriculture ne faisant pas exception, l’on pourrait assister à une régulation du marché de l’eau à plus ou moins grande échelle. Cette régulation passera nécessairement par la création de tout un cadre juridique traitant l’eau comme unité intégrée à des modèles de cotation et de facturation moins excessifs. Si l’on suit cette démarche, les agriculteurs devront montrer l’exemple notamment par la traçabilité des réserves d’eau et leur transformation en denrée alimentaire.
Une marchandisation encadrée et un alignement de la valeur de cet actif stratégique sur la valeur de la data paraissent être des éléments indispensables à l’élaboration d’un marché équitable de l’eau. Cette solution envisagée pourrait engendrer un cercle vertueux stimulant tous les aspects compris dans l’agriculture : vitaux, technologiques et économiques.
Le défi est par conséquent immense et ne se fera pas sans une réelle coopération des puissances. Seule une démarche cohérente et concertée, engagée progressivement des parcelles agricoles aux grands bassins versants, peut donc permettre de nourrir les dynamiques déjà en œuvre, afin de répondre efficacement aux défis communs de l’eau et de l’agriculture. Les approches politiques et idéologiques divergeront mais l’agriculture mondiale dans son ensemble et chaque exploitation agricole à son échelle aura sans aucun doute un rôle décisif dans la gestion de l’eau. Cette transition ne peut se faire sans mesures adaptées pour accompagner techniquement et économiquement non seulement les agriculteurs mais aussi les autres acteurs socio-économiques.
Source :
https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2013/2013_11_gestion_eau_agriculture.pdf
Liens Youtube sur le sujet de l’eau :
« Le mariage entre la finance et l’eau a déjà commencé » – Interview de Jérôme Fritel | ARTE : https://www.youtube.com/watch?v=4V5jH6ue_WU
Avec le réchauffement climatique, le risque d’une guerre de l’eau ? – 28 minutes – ARTE :https://www.youtube.com/watch?v=MpX_sMiz4c4
La bataille de l’eau – Géopolitis : https://www.youtube.com/watch?v=i0ZpFm7_YK8
L’eau, une ressource sous tension Le Dessous des cartes ARTE : https://www.youtube.com/watch?v=Vv5eCgigF2E