Le changement climatique, entre émissions et stockage, où se situent les exploitations agricoles ?
La lutte contre le changement climatique est devenue un grand enjeu international, la loi ENE impose d’ailleurs un diagnostic d’émissions de Gaz à Effet de Serre (GES) tous les 3 ans pour les entreprises de plus de 500 salariés. En effet, la chaîne de production ET de consommation alimentaire représentait 30% du pouvoir de réchauffement global de la France en 2004. La majorité (57%) proviennent de l’agriculture : sols, fermentation entérique, déjections animales, combustibles et carburants (IFEN).
Les émissions, de quoi parle-t-on ?
En 2009, les émissions GES de l’agriculture et de la sylviculture représentaient 21% des émissions brute de GES en France, soit 107 MteCO2 /an. En revanche les émissions du secteur Utilisation des Terres, leurs Changements et la Forêt (UTCF) s’avèrent être un puit de carbone non négligeable (-65 MteCO2 /an) provenant essentiellement de la forêt et des prairies (ADEME, 2011).
Le secteur de l’agriculture émettra principalement des GES liées à l’utilisation des sols (CO2), des fertilisants, et par l’élevage, alors que les entreprises en amont et en aval seront plutôt concernées par le CO2 ou les gaz fluocarbonés. Mais alors, d’où viennent ses émissions pour les exploitations ?
Emissions de dioxyde de carbone (CO2) :
- Liées à l’utilisation des machines : carburants / combustibles (directes)
- Liées à la fabrication et au transport des machines et des intrants (indirectes)
Le déstockage de carbone (CO2) :
- Lié aux processus de minéralisation du carbone organique du sol
- Pratiques culturales : cultures, récurrence des sols nus, résidus…
- Sol : pH, teneur en matière organique, argile et CaCO3, C/N
Le protoxyde d’azote (N2O) : 1 kg de N2O émis = 300 kg de CO2 :
- Lié à la transformation non finalisée des nitrates (dénitrification) :
- Des déjections d’élevage,
- De la fertilisation azotée sur les cultures,
- De la gestion des résidus de culture.
Les émissions de méthane (CH4) : 1 kg de CH4 émis = 25 kg de CO2
:
- Liées aux transformations de la biomasse réalisée sans oxygène :
- De la fermentation entérique (ruminants),
- Des processus d’ensilage et de stockage des déjections,
- Des zones humides (riziculture).
L’impact des Gaz à Effet de Serre (GES) pour une exploitation agricole va dépendre de la gestion des émissions biologiques (N2O – CH4), des pratiques aux champs (CO2) et des conditions pédoclimatiques locales (météo, composition du sol).
Les émissions, d’accord… mais le stockage de carbone alors ?
Si on se concentre sur les flux de carbone, la fixation réalisée par les plantes et stockée dans la biomasse (photosynthèse) est ensuite libérée en CO2 lors de sa consommation par les animaux ou par les Hommes. La séquestration du carbone est alors principalement réalisée par le stockage du carbone dans la matière organique des sols (humification).
La capacité de stockage du carbone organique d’un sol va dépendre des conditions pédoclimatiques et des pratiques agricoles sur les champs : afforestation, enherbement, retournement (labour), forme et quantités des apports organiques…
Pratiques | Potentiel de stockage |
---|---|
Non labour | 0,20 tC/ha/an ± 0,13 |
Cultures intermédiaires | 0,16 tC/ha/an ± 0,8 |
Retournement d’une prairie | – 0,95 tC/ha/an |
Enherbement des vignes | 0,49 tC/ha/an ± 0,26 |
Afforestation | 0,45 tC/ha/an ± 0,25 |
Prairie < 30 ans | 0,5 tC/ha/an ± 0,20 |
Prairie > 30 ans | 0,2 tC/ha/an ± 0,10 |
Un système aura forcément des flux entrants et sortants conséquents, surtout en agriculture, le stockage de carbone doit être mis en relation avec d’autres facteurs d’émissions pour évaluer le réel impact d’une exploitation.
L’équilibre complexe entre pratiques et émissions
Le milieu biologique, les interactions entre cycles (carbone / azote), entre les composantes du sol (teneur en argile, CaCO3 …) et les conditions climatiques (précipitations, températures) rendent l’évaluation des impacts très complexes. Une pratique peu avoir autant de bénéfices que de risques d’émissions, pour illustrer, prenons l’exemple de la luzerne :
Même si la luzerne est exportée, son système racinaire dense restitue une importante quantité de carbone et améliore la structure du sol (augmentation de la matière organique et du N disponible).
Cependant, les potentiels de perte par lessivage et par dénitrification sont élevés (N20) : les résidus sont chargés en azote ; la capacité du sol à l’organiser va dépendre de sa structure. Les pertes par N20 vont être très dépendantes des conditions pédoclimatiques et de la gestion des résidus (enfouissement, date de fauche, teneur en N des résidus…).
Pour rappel, le N20 à un pouvoir de réchauffement supérieur à celui du CO2 (1kg de N20 = à 300kg CO2). Comprendre l’équilibre entre, d’une part, l’impact des résidus sur les émissions de N20 et d’autre part leur rôle dans le stockage de carbone (matière organique) est essentiel pour la gestion des émissions GES.
Pour répondre à ses interrogations, des outils de calculs et de simulations ont été créés dans le but d’évaluer les impacts des différents postes de travail, pratiques et consommations des exploitations : Bilan Carbone®, Dia’terre®, Planete-GES, Diapason, Agri-energie, Prairie, Perfagro, Decibel, Eclair, Amethyst, EGES®…
Si vous souhaitez effectuer un diagnostic, une liste de personnes ressources est disponible dans toute les Direction Départementales des Territoires (DDT). Dans ce cadre, les exploitants peuvent être éligibles aux aides au diagnostic du Plan de Performance Energie (PPE), régionale, locales et de l’ADEME. L’objectif étant d’appréhender au mieux les impacts directs et indirects des exploitations pour trouver le bon équilibre entre maintien de la performance et réduction des émissions.
Réduire les émissions de GES en maintenant les volumes de production est parfois perçu comme incompatible si les agriculteurs veulent satisfaire les besoins alimentaires d’une population toujours croissante. Les actions mises en œuvre se doivent d’être adaptées aux conditions de productions et aux pratiques liés à sa performance.
Quelques leviers à mettre en place
Pour les émissions de CO2 :
Le déstockage de carbone :
Compenser par l’augmentation des entrées de Corganique : à même rendement, une biomasse avec un C/N élevé (pailles) restituera plus de carbone que celle avec un C/N faible (légumineuses, fourrages verts) /!\ à la teneur en azote des résidus qui peuvent avoir un fort potentiel d’émission de GES.
Privilégier les engrais à capacités d’humification élevée (C/N élevé) : augmentation du stock en Matière Organique (MO).
Consommations de combustibles et de carburants :
Favoriser les leviers de gestion préventifs (rotation, variétés…) aux curatifs (travail du sol intensif) pour la gestion des bioagresseurs.
Adapter le parc matériel aux besoins de la pratique (puissance)
/!\ L’irrigation peut doubler les émissions de GES, privilégier une irrigation électrique émet en moyenne 3 fois moins de GES que celle du diesel, penser à l’optimisation par le goutte à goutte ou le paillage.
La production d’énergie renouvelables peut substituer l’utilisation d’énergies fossiles.
Pour les émissions de N20 :
Liées aux résidus organiques :
Favoriser les pratiques telles que l’enfouissement ou la destruction tardive des couverts (les feuilles âgées sont moins riches en azote : C/N plus élevé)
Liées à la fertilisation :
Raisonner les apports, implanter des CIVE (Cultures Intermédiaires Piège à Nitrates). Privilégier les formes d’engrais moins impactante : de préférence solide (compost) et/ou avec une teneur en N ammoniacal faible et améliorer les pratiques d’épandages : enfouissement, conditions météos favorables (peut faire varier les pertes de ± 30%)
Pour les émissions de CH4 en élevage :
Agir sur l’alimentation du bétail : adapter les apports aux besoins nutritionnels selon le niveau de production, introduire des acides linoléiques…
Agir sur les déjections : la méthanisation permet de réduire les pertes au stockage et valorise l’énergie en électricité (réseau de chaleur).
Agir sur les bâtiments : isolation, la filtration des particules, récupérateur de chaleur sur tank à lait, pré-refroidisseur de lait…
Et pour récompenser les efforts des élevages dans la réduction de leurs émissions carbone, France Carbon Agri Association a signé un contrat de vente de crédits carbone, avec une rémunération de 30€ par tonne de carbone évitée, il pourrait rapporter entre 6 000 et 12 000 €/élevage soit entre 4 et 12€/1 000 l.
Les émissions GES ne sont pas uniquement dues à l’activité des agriculteurs. Dans la chaîne de production alimentaire française, 43% des émissions sont dues aux transports, à la transformation, au commerce, à la cuisine et à la réfrigération à domicile. Les actions des agriculteurs doivent être appuyées et complétées par les coopératives, négociants et industries agro-alimentaires :
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- Limiter les déplacements, formation d’écoconduite et sensibilisation des chauffeurs (climatisation, systèmes de refroidissement des camions frigorifiques…), allonger la durée de vie des équipements et des véhicules…
- Optimiser la gestion et la collecte des déchets : réduction des emballages (ou éco-conception), aération et brassage des eaux usées, utiliser des matériaux recyclés ou recyclables, valoriser les co-produits…
- Favoriser les achats et les matières premières de proximités.
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