« L’agronomie commence par le sol » Yvan Gautronneau, agronome
Gilles CAVALLI : Bonjour et bienvenue dans ce nouveau podcast d’AGRIFIND. Yvan GAUTRONNEAU est un pionnier en terme d’agronomie et notamment d’étude des sols. Aujourd’hui, Yvan est retraité, il a fait toute sa carrière à l’ISARA Lyon. Après ces années d’enseignant, de chercheur, de consultant, peux tu citer, s’il te plait, quelques idées neuves que tu as pu mettre en avant dans ton travail.
Yvan GAUTRONNEAU : Quelques idées neuves ! Dans les grandes étapes, je dirais que, fin des années 90, j’ai proposé ce que j’avais appelé une approche globale du sol, les 3 piliers : physique, chimique et biologique et leurs interactions. Au début des années 2000, j’ai proposé l’idée du « labour agronomique » donc qui consistait à arrêter avec des profondeurs excessives de labour, avec des labours trop émiettés, gérant mal la matière organique et, plus récemment en 2015, j’ai évolué sur le concept de labour agronomique pour l’appeler « le labour agro-écologique » avec un titre qui est un peu provocant puisque dans le domaine de l’agro-écologie, on a plutôt tendance à penser que le labour est à proscrire plutôt qu’à conserver et j’ai développé ce concept là qui est paru dans différents articles.
Gilles CAVALLI : Merci, alors, aujourd’hui, j’aimerais que l’on fasse un focus sur une technique d’outils d’aide à la décision pour les agriculteurs : le profil cultural. Pourquoi et comment utiliser le profil cultural ? En quoi est-ce intéressant de savoir comment un sol fonctionne aujourd’hui quand on est à la tête d’une exploitation ?
Yvan GAUTRONNEAU : Alors, le profil cultural, c’est un concept agronomique assez ancien qui a été développé dans les années 60 par Stéphane HENIN. J’ai effectivement, avec Hubert MANICHON dans les années 80, repris et rénové ce concept et je l’ai aussi un petit peu complété plus récemment dans les années 90 en y intégrant une dimension sur la biologie des sols à travers les vers de terre entre autre. Cela consiste en deux mots à faire une fosse puis à essayer à partir de l’examen d’une fosse, donc de mettre en œuvre une méthode, une méthodologie, une démarche que l’on appelle « le profil cultural » et c’est donc un outil tout à fait intéressant d’aide à la décision pour les agriculteurs, des décisions de natures différentes.
« Le profil cultural : un outil d’aide à la décision »
On peut penser par exemple pouvoir définir une réserve utile pour pouvoir définir un potentiel agronomique. Dans le domaine de l’agriculture de précision, on peut travailler avec les cartes de résistivité complétées par un positionnement GPS mais, en fait, ces cartes, il est tout à fait intéressant, c’est ce que j’ai fait il y a une dizaine d’années déjà de les compléter par des profils culturaux dans les zones définies par ces cartes et de manière à comprendre pourquoi la zone ressort d’une couleur différente par rapport à une zone voisine, quels sont les caractères permanents du sol qui ont changé qui expliquent cela et puis surtout de définir un potentiel agronomique et, en même temps, de définir s’il n’y a pas des choses à corriger par rapport à la gestion actuelle de ces sols au vu de compactage que l’on peut repérer, au vu de racines qui sont bloquées, au vu d’une insuffisance de présence de vers de terre par exemple.
Voilà le type d’aide à la décision qui peut être faite, et puis à une échelle de temps beaucoup plus courte, j’étais d’ailleurs par hasard hier matin avec un groupe d’agriculteurs et là, bon, ils avaient fait un travail du sol avant de semer les blés et là le profil permet de vérifier qu’une technique du travail du sol qui a été mise en place, et répond aux attentes de l’agriculteur par rapport à la plante qu’il veut semer et on peut vérifier si tout se passe bien, ou bien dans une autre parcelle, on a fait une coupe dans un trou ouvert végétal multi-espèces et on a pu voir un peu tout l’effet bénéfique du couvert végétal sur la structure du sol en surface, sur la structure du sol en profondeur à travers le système racinaire sous couvert végétal, donc voilà des exemples d’intérêt pour l’agriculteur de faire des profils culturaux.
“Le profil cultural est accessible à tous”
Ce que je viens d’expliquer ne nécessite pas une expertise très importante. L’agriculteur lui-même, un tout petit peu exercé, peut le faire. Après, le profil cultural est un outil qui peut être beaucoup plus performant par une approche et une démarche plus pointue pour, disons, élaborer des gestions du sol appropriées qui nécessitent là, par contre, une expertise, une expérience importante qu’il faut acquérir mais, pour l’agriculteur, une coupe de sol avec un coup de bêche ou un tractopelle est tout à fait pertinente pour l’aider dans ses prises de décision.
Gilles CAVALLI : Merci pour cet apport lié à cet outil d’aide à la décision « profil cultural » et se rappeler que le sol est bien en trois dimensions, que ce n’est pas une surface, que c’est bien une profondeur. Peut-être un mot sur ce labour agro-écologique ?
“Labour ou non-labour ?”
Yvan GAUTRONNEAU : Ce labour agro-écologique en fait, ces deux dernières décennies dans mon activité de consultant et de spécialiste reconnu du travail du sol, j’ai un peu « trainé ma bêche » un petit peu partout en France, auprès d’agriculteurs qui ne labouraient plus, des agriculteurs qui labouraient encore et surtout beaucoup de gens qui se posaient des questions dans les deux sens : faut-il persévérer dans un sens ou dans l’autre ? Donc cela m’a amené à faire des profils culturaux dans des situations très variées et à constater que, du côté des laboureurs, disons qu’il y avait quand même des situations qui n’étaient pas complètement satisfaisantes du point de vue structure ou du point de vue de la vie du sol, et de l’autre coté, du côté des non laboureurs, il y avait parfois des situations très remarquables que j’ai pu observer et puis il y avait aussi des tas de situations qui n’étaient pas complètements satisfaisantes. La raison principale, c’est quand on a choisi, quand on est face à des courants de pensée assez forts comme cela, on peut au bout d’un moment oublier la réalité et se fixer par rapport à des convictions et, donc moi, mon boulot, ça consistait à regarder la réalité avec les agriculteurs. Et je me suis rendu compte que finalement, cela n’était pas si simple et que la question labour ou non labour était trop mal posée.
Je me suis dit : tiens, au fait, les non laboureurs, il y a un moment donné où ils sont complètement face à des situations de maîtrise des adventices qui ne sont solubles que par l’utilisation intensive, si j’ose dire, de produits à base de glyphosate par exemple, il ne faut pas penser à des ruptures mais si on fait des ruptures, il ne faut pas bousculer le type de sol sur la structure, la répartition des couches spécifiques qui est générée par l’abandon de la charrue, donc de faire des labours pas trop profonds, de bénéficier des effets bénéfiques, des approches positives, de ce courant « non labour » c’est-à-dire laisser de la rugosité en surface, laisser de la matière organique en surface etc. Donc, cela veut dire un labour plutôt sans rasette, un labour pas trop profond et puis surtout c’est un labour de rupture, donc ça veut dire que c’est un labour tout à fait occasionnel et puis, du côté des laboureurs, même chose, je me suis dit : il faut quand même faire un petit peu évoluer les choses puisque le labour a un certain nombre d’inconvénients.
Effectivement, quand il est utilisé de manière systématique, en terme de dépense de gasoil, de dépense de temps, d’usure du matériel, et puis aussi en tant que baisse, comment dire, de la population des vers de terre, puisqu’on perturbe leur habitat, donc il fallait un petit peu faire évoluer tout ça, donc j‘ai développé ce concept d’aide, qu’en fait au niveau de la charrue, on parle de « labour hors raie » c’est-à-dire que le tracteur reste sur la partie non labourée, généralement c’est le gros tracteur, le tracteur de tête comme on dit, qui tire la charrue quand il existe une charrue sur la ferme et donc ce tracteur logiquement doit être équipé de pneumatiques basse pression, donc des pneus larges donc qui écrasent, s’ils sont dans la raie, une raie si ce n’est pas deux.
« Labour agro-écologique »
Cela veut dire de la caractéristique du labourage agronomique, c’est-à-dire de l’ordre de 20-22 cm mais pas moins parce qu’il faut qu’il y ait un effet de retournement pour que des graines d’adventices soient en situation de difficultés pour se reproduire. Bon, c’est le cas du brome par exemple, si les graines sont à plus de 10 cm de profondeur, elles ne peuvent plus germer quand d’autres graines sont capables de regermer au labour suivant bien entendu donc cela veut dire labour agronomique plus labour hors raie et puis surtout donc même si on est en système labour, comme ce labour a des inconvénients, on n’est pas obligé de le faire de manière systématique et puis donc quand on peut, par exemple, après un soja pour semer un blé, pour être très concret, on a généralement des états structuraux très favorables et donc le labour ne s’impose pas à ce moment là, donc là on va faire des techniques culturales simplifiées pour faire cette implantation de culture.
Voilà un peu ce que j’ai appelé le labour agro-écologique et je l’ai appelé agro-écologique parce que quand j’ai défini ça, c’était le moment où l’on parlait beaucoup d’agro-écologie et je voulais faire comprendre aux gens que finalement le labour n’est pas synonyme de, comment dire, de résultat défavorable par rapport au sol, bien que les défenseurs du non labour le pensent, l’écrivent et le crient un peu partout, d’autant plus qu’il s’avère que mes collègues qui ont pris ma succession à l’ISARA LYON vers un essai longue durée que j’ai mis en place avec eux il y a une dizaine d’années et on a des résultats comparatifs entre des itinéraires conduits depuis 10 ans en labour d’un côté, en non labour d’un autre côté, et par l’observation des populations des vers de terre, on vient de se rendre compte que les populations de vers de terre, dans ce contexte peut être particulier, conduit à la conclusion suivante : c’est que les populations de vers de terre sont certes un peu plus faibles dans le système labour que dans le système non labour mais sont à des niveaux qui sont tout à fait corrects et tout à fait satisfaisants et donc c’est ma conviction profonde depuis très longtemps, on peut gérer des sols avec un labour disons occasionnel, bien fait, etc. si en même temps on a une gestion des matières organiques par des apports de matière organique et je dis « les » matières organiques, ça veut dire des couverts, ça veut dire du fumier, du lisier si on en a, ça veut dire des composts, ça veut dire un petit peu tout type de matières organiques et bien on peut avoir une très bonne gestion des sols même avec une charrue.
Gilles CAVALLI : Merci pour ces précisions Yvan. Merci pour ces détails et ces aspects liés aux récentes observations de sol en labour ou en non labour. Une dernière question pour conclure notre échange. Ton rêve pour les agriculteurs, quel est-il ?
Yvan GAUTRONNEAU : Mon rêve pour les agriculteurs ? En tant que fils d’agriculteur, mon rêve ça a été et c’est toujours le même : c’est que les agriculteurs qui font un métier formidable, tout à fait passionnant, intéressant, surtout quand ils s’intéressent au sol entre autre ou à leurs animaux quand ils sont des animaux, c’est de vivre correctement de leur métier, ne serait-ce que par une rémunération correcte de leur prix. On assiste aujourd’hui déjà à quelque chose qui pourrait peut-être être positif puisque les pouvoirs publics semblent avoir compris qu’il fallait rémunérer correctement les agriculteurs au travers de leur prix et pas uniquement à partir de subventions qui sont là ou pas là, qui sont payées ou pas payées puisque l’état est bien connu pour être un mauvais payeur. Donc, mon rêve est en train de se réaliser peut-être, je ne sais pas, soyons très prudents n’est-ce pas, mais voilà mon rêve c’est que les agriculteurs aient un revenu décent et ne soient pas, comme c’est le cas aujourd’hui, pour beaucoup d’entre eux, dans le rouge sur le plan économique. Moi, je vis au milieu d’eux là, depuis ma retraite, en assumant des responsabilités dans des associations liées au monde agricole, et je les côtoie et ça me fait mal de voir que ces gens là qui sont des gens qui travaillent, qui réfléchissent, qui utilisent des technologies très modernes pour certains d’entre eux, eh bien ne sont pas rémunérés correctement, donc mon rêve est qu’ils le soient.
Gilles CAVALLI : Merci. Je rappelle cet échange avec Yvan Gautronneau, donc retraité, agronome, avec une longue carrière dédiée à l’agriculture et plus particulièrement à l’étude des sols.
Et vous, où en êtes vous de l’utilisation du profil cultural ? et du labour ?
Crédit photo : Yvan Gautronneau